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Je mange, donc je fuis...

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Message  Cordaliana Mar 16 Nov à 20:08

"Je mange, donc je fuis"

La Boulimie : une toxocomanie qui s'ignore

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Docteur Catherine FARUCH
Praticien Hospitalier - Chef de Service - Secteur 8
Hôpital Gérard Marchant
Association R.E.C.I.F.S.

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La boulimie est une entité clinique souvent méconnue, diagnostiquée tardivement, et génératrice de grande souffrance. Ce rapport excessif à l'alimentation permet de colmater des difficultés de nature relationnelle en écho avec une problématique identitaire.
L'Association R.E.C.I.F.S. propose un accueil personnalisé et des ateliers sensoriels et culinaires pour aborder la problématique de l'incorporation et du rapport à l'autre.

La boulimie est une entité pathologique complexe repérée uniquement depuis les années 1970, bien mystérieuse encore à de nombreux égards et qui n'est pas synonyme de l'obésité. Il s'agit d'un état pathologique de voracité conduisant à l'ingestion de quantités excessives de nourriture. Il sera par la suite associé à l'existence de comportements visant à compenser cet apport massif par des restrictions alimentaires extrêmes (vomissements provoqués, usage de laxatifs, régimes alimentaires). Il a fallu attendre la fin des années 1970 pour que la boulimie devienne un objet d'étude à part entière. Même si les conduites boulimiques étaient reconnues depuis longtemps, leur étude a été éclipsée par l'intérêt portée à l'anorexie mentale. En effet, le diagnostic de boulimie est bien moins évident que celui de l'anorexie. Il peut rester longtemps méconnu de l'entourage car les crises se déroulent en cachette et le poids peut rester longtemps normal. L'âge d'apparition de ces crises peut commencer chez les adolescentes de douze ans ayant recours à des régimes, aux vomissements ou à l'utilisation de laxatifs. Cet état atteint essentiellement le sexe féminin. L'âge des premières consultations apparaît avec un recul d'une dizaine d'années par rapport aux premières manifestations paroxystiques.

Les boulimiques mangent seules, à la maison en fin d'après-midi, sans faim, sans plaisir, et plus rapidement que d'habitude. Les crises sont suivies d'un sentiment de tristesse, de honte, de culpabilité et d'une grande détresse psychologique. Même à poids normal, les adolescentes boulimiques se trouvent trop grosses et sont obsédées par le poids et la nourriture. Elles ont dans l'ensemble une image négative d'elles-mêmes et 70 % d'entres elles ont déjà fait un épisode dépressif majeur [2]. Dans ce contexte là, l'époque de survenue, la puberté, est suffisamment significative pour comprendre que le regard que portent les jeunes filles sur elles-mêmes et sur leurs corps revêt des aspects négatifs.

Actuellement, il a été prouvé à travers un certain nombres d'études épidémiologiques qu'il existe un continuum entre une boulimie subclinique et une boulimie sévère. Par ailleurs, la problématique psychologique est la même entre l'anorexie et la boulimie [6] : plus d'une anorexique sur deux va à un moment ou à un autre souffrir d'épisodes boulimiques. A l'inverse, plus d'un tiers des boulimiques n'ont jamais souffert d'anorexie et très peu d'entre-elles évoluent vers cette pathologie.

Il s'agit dans tous les cas d'un ensemble psychopathologique qui renvoie à une même problématique, celle de la dépendance et de l'addiction Dans le cadre de ces boulimies, le pathologique a pris le pas sur la notion de plaisir. L'équilibre narcissique de ces sujets est largement dépendant de la réalité de leur relation, de leur qualité et de leur permanence, cependant la reconnaissance des qualités propres du sujet, de l'autre s'efface au profit de leur seule existence propre et de leur capacité à répondre aux attentes et aux besoins immédiats. Leur caractère oscille souvent d'une compliance extrême à un entêtement obstiné, placage conformiste passif pouvant se manifester aussi par une opposition systématique. L'urgence contraignante, plus d'ailleurs que le lien à l'autre, est indispensable. La nourriture et sa quantité concrétisent une source d'excitation externe qui vient relayer une défaillance du désir, de la peur du vide et de la destruction.

Cette pathologie est davantage aujourd'hui celle des sociétés libérales qui se caractérise par des processus de promotion sociale dans lesquels on est constamment "mis en appétit" de nourriture, de sensations fortes, etc... Cette véritable toxicomanie touche également le comportement relationnel : les patientes se jettent sur une relation comme sur une nourriture et la vomissent aussitôt. Elle ont par ailleurs une forte consommation de benzodiazépines parfois d'alcool. Leur demande thérapeutique n'interviendra que longtemps après le début des troubles, faisant une grande consommation de thérapeutes de tout ordre, d'où les nombreux échecs aboutissant peu à peu à une prise de poids qui s'installe au fil des ans.

L'évolution à long terme de la boulimie peut s'avérer préjudiciable. Une enquête menée en 1999 par KEEL [3] souligne une évolution continue dans 30 % des cas ayant des crises de boulimie ou recourrant à des vomissements provoqués. Un long retard au diagnostic initial ou des troubles associés à la consommation à une substance (alcool, benzodiazépines) prédisent une évolution plus défavorable ; la boulimie s'installera comme un véritable problème quand l'excès alimentaire devient un mode prévalent et durable au détriment d'autres modalités. Il s'agit donc d'un plaisir bien particulier, propre à ces pathologies de l'excès, spécifié par le détournement de la quantité sur la qualité dans une dimension de contrainte. Il s'agit non plus d'un registre du désir mais d'un registre du besoin.

C'est alors qu'interviendra l'Association R.E.C.I.F.S., Association d'entraide de femmes, permettant de détourner la quantité de la nourriture au profit du registre du goût et du plaisir. Le rapport à l'alimentation présente des spécificités liées à l'aspect certes biologique, la nécessité de nourrir son corps, mais il comprend aussi un aspect psychologique en relation avec la notion d'incorporation et de rapport au plaisir/déplaisir. Cependant, il ne faut pas en négliger les aspects sociologiques dans ce qui est de l'ordre du relationnel (le rapport à autrui ou dans ce qu'il y a de nature culturelle autour de la façon de préparer certains aliments et des manières de la table). Ainsi le temps repas devient un mode de socialisation privilégié. Dans la problématique addictive, l'engloutissement des aliments, liquides et solides, entraîne une insatisfaction permanente. Manger met en jeu l'individu dans son rapport à son propre corps, faisant intervenir tous les sens réunis : auditif, gustatif, olfactif, visuel et tactile. Autour de la perte des sens, s'organise secondairement isolement et solitude. Le repas est un élément fondamental car c'est le temps où l'aliment franchit la barrière entre le dehors et le dedans, entre le monde extérieur et la propre intimité du sujet. Cette incorporation véhicule une dimension réelle, imaginaire et symbolique, en relation avec les premiers échanges de la relation mère/enfant inscrits dans un type de culture.

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